Marie Claire du 12/07/2022 - Chloé Cohen
En fibres naturelles ou synthétiques, nos vêtements polluent nos mers et océans en libérant des microfibres, qui transitent ensuite via les eaux usées, avant d’atterrir dans les fonds marins. Comment lutter contre cette pollution de plus en plus importante ?
"Il y a deux ans, j’ai navigué avec eXXpedition Round the World [une mission destinée à étudier la pollution plastique dans les océans], dans l’Océan Pacifique Sud. Nous avons analysé l’eau, et là ça a été le choc, il y avait énormément de microfibres de polyamide et de cellulose dans les échantillons", se souvient Carry Somers, co-créatrice de Fashion Revolution, un mouvement destiné à sensibiliser et à informer sur les impacts de l’industrie textile sur l'environnement.
Si de prime abord il est difficile de voir le lien entre nos vêtements et la pollution des océans, les microfibres textiles crachées par les machines à laver envahissent pourtant, progressivement, les abysses marines.
L'impact de nos vêtements sur l'eau
Selon une étude scientifique réalisée en 2021, 35 à 72% des fibres des échantillons prélevées dans l’environnement marin étaient d’origine naturelle (coton et laine) ou issues de procédés réalisés à partir de fibres naturelles (comme la cellulose pour la viscose par exemple), contre 14 à 50% d’origine synthétique (polyester, nylon, acrylique…).
"Dans les fibres en coton non-biologique il y a des pesticides et des produits chimiques nocifs, donc même les microfibres naturelles sont dangereuses dans les océans", rappelle Thomas Stanton, chercheur à l'Université de Loughborough, au Royaume-Uni, qui étudie la pollution engendrée par les microfibres textiles dans les océans et rivières.
Nos machines à laver, premières responsables de la pollution plastique de l'eau
Mais concrètement, comment ces microfibres terminent-elles dans la mer ? "Les fibres, selon leurs tailles, sont véhiculées par différents trajets : les fibres les plus courtes sont transportées par voie aérienne, celles plus longues transitent via les eaux usées", analyse l’étude.
Elles se retrouvent dans les eaux usées à cause des frottements lors du lavage de nos vêtements, puis terminent dans les océans car malgré une efficacité de traitement de ces microfibres par les stations d’épuration - qui oscillent pour la station d'Haliotis (Nice), selon les mois et les vêtements portés donc lavés, entre 87,5 et 98,5% - 4,3 milliards de fibres entrent chaque jour dans l’environnement marin en sortie de station.
Et d’après la fondation Ellen Mc Arthur, la quantité cumulée de microfibres entrant dans l’océan entre 2015 et 2050 pourrait dépasser les 22 millions de tonnes.
"Ces microfibres textiles se retrouvent en très grande quantité dans les mers et océans. Or, la nature n’est pas capable de les absorber."
Ces fibres sont mangées par les poissons et se substituent à leur alimentation", alerte Henri Bourgeois-Costa, Directeur des affaires publiques pour la Fondation Tara Océan. Et ce spécialiste en économie circulaire pointe du doigt la hausse constante de cette pollution.
"Notre consommation de vêtements augmente donc on se retrouve avec plus de microfibres dans les océans. Et même si les microfibres naturelles pourraient se dégrader plus vite que les microfibres synthétiques, elles n’ont rien à faire là, les océans ne sont pas adaptés pour faire face à ce problème", détaille-t-il.
Quelles solutions pour lutter contre la pollution des océans ?
Alors comment faire face à cette pollution grandissante ? "Nous devons moins acheter, moins laver nos vêtements, ne pas les laver à plus de 30°, ou encore diminuer la vitesse d’essorage", explique Carry Somers.
Mais les efforts ne doivent pas seulement venir des consommateur·trices. "Les marques doivent aussi révéler ce qu’il y a dans leurs vêtements et dresser la liste de tous les produits chimiques qui les composent", poursuit l’activiste.
Ce n’est pas tout. Pour Géraldine Poivert, présidente et cofondatrice du cabinet de conseil Reset, les innovations technologiques ont également leur rôle à jouer.
"Il faut trouver des solutions au niveau industriel, il faut travailler les tissus pour qu’ils s’usent et s’effilochent moins pendant les lavages, filtrer les eaux au niveau des machines à laver et des stations d’épuration", estime celle qui a accompagné le Fashion Pact pendant un an sur la pollution plastique des océans.
D'ailleurs, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire (Agec) impose désormais d'équiper les lave-linge neufs vendus en France d'un filtre à microfibres à compter du 1er janvier 2025.
"Il faut plus de sobriété, des innovations, des investissements publics et un travail industriel collectif. Le textile a rendez-vous avec son avenir", conclut Géraldine Poivert.
https://www.marieclaire.fr/mode-pollution-eau,1430670.asp